La strade bianche

En toscane, à la fin de l’hiver se déroule l’une des plus fameuses courses  professionnelles : la strade bianche (course blanche). Cette course emprunte près de 50 kilomètres de chemin de terre calcaire. La couleur blanche du calcaire lui ayant donné son nom. Certains la considèrent déjà, malgré sa récente création (2007),  comme le 6° monument du calendrier professionnel. 

Les Strade Bianche 2014.

On n’ira quand même pas jusqu’à parler de « l’enfer du sud », ne serait-ce que parce qu’on est en Toscane, et que la Toscane ne peut en aucun cas évoquer l’enfer. Mais les Strade Bianche, « c’est notre petit Paris-Roubaix à nous », lance Pier Begonzi, rédacteur en chef de La Gazzetta dello Sport, dont le propriétaire – RCS, le ASO italien – organise cette course que certains amateurs de cyclisme jugent plus excitante que la « Reine des classiques ».

En mars prochain, les courageux partants n’auront pas de secteurs pavés à se mettre sous la roue, mais des « strade bianche », donc, à savoir des « routes blanches » typiques de la région toscane – on en trouve aussi en Ombrie et dans les Marches – faites de poussière et de cailloux plus ou moins gros, où l’on ne s’aventurerait pas autrement qu’en VTT. Le parcours, qui sillonne les monts du Chianti, varie légèrement d’une année à l’autre, au gré des découvertes. « C’est un peu la même histoire que sur Paris-Roubaix, compare Pier Bergonzi. L’organisateur est toujours à la recherche de nouveaux endroits, mais ce n’est pas évident de retrouver les strade bianche, certaines ont été recouvertes de macadam. »

Près d’un quart de la course – 45 km sur 200, répartis en dix secteurs d’une longueur de 1 à 11 km – se déroule sur ces chemins dépourvus d’asphalte et particulièrement glissants, qui ont, en plus, la bonne idée de n’être quasiment jamais plats, et d’offrir ainsi des descentes spectaculaires qui sont autant d’invitations à se vautrer. « L’an dernier dans une descente, se rappelle le Français Warren Barguil, 8epour sa première participation en 2014, je faisais attention parce que je sentais vraiment que ça glissait, on était en file indienne et là, Riccardo Zoidl [un coureur autrichien], je pense qu’il avait oublié que c’était les Strade Bianche, il m’a doublé dans la descente, et dans le virage, il est tombé, il s’est cassé la clavicule. »

En 2010, la 7e étape du Tour d’Italie avait emprunté une partie de ces routes, et la pluie s’en était mêlée, catastrophique pour les coureurs, idéale pour le spectacle.

Alexandre Vinokourov lors de l'étape dantesque du Tour d'Italie 2010 qui avait emprunté les strade bianche.
Alexandre Vinokourov lors de l’étape dantesque du Tour d’Italie 2010 qui avait emprunté les strade bianche. AFP/ROBERTO BETTINI

Pas question de se lancer à l’assaut de ces sentiers précaires avec des pneus habituels : « On a des pneumatiques “spécial pavés” qui ont une meilleure accroche, et une solidité aux petits silex qui pourraient se mettre dans le boyau, explique Warren Barguil. Ils sont moins gonflés que pour une course normale, mais il faut pas être trop sous-gonflé non plus, parce qu’il y a aussi des parties bitumées. »

Sous ses airs de course à l’ancienne, l’épreuve est en fait toute jeune, puisqu’elle fut créée en 2007, dix ans après l’Eroica, dont RCS et La Gazzetta se sont inspirés. L’Eroica ? Une course pour amateurs, à laquelle participent des milliers de cyclistes armés de maillots en laine et de vélos à l’ancienne – aucun véhicule fabriqué après 1987 n’est autorisé. « La Gazzetta a eu l’idée de faire faire cette course par des professionnels, raconte Pier Bergonzi. On a contacté les organisateurs de l’Eroica amateurs, mais ça n’était pas possible d’avoir un accord avec eux, alors on l’a appelée “Strade Bianche”. »

Pendant L'Eroica, course réservés aux amateurs roulant sur des vélos datant d'avant 1987.
Pendant L’Eroica, course réservés aux amateurs roulant sur des vélos datant d’avant 1987. Wikimedias

Une bonne partie du peloton ne vient pas à bout de cette course éreintante – la première année, il y avait eu 71 abandons sur 113 participants, 39 sur 140 l’an dernier? –, et ceux qui l’achèvent en sortent rincés, même si le niveau de difficulté n’atteint pas encore celui de Paris-Roubaix.

« Ce n’est pas une course pour tout le monde, explique Pier Bergonzi.Les coureurs qui visent les grands Tours, comme Froome ou Contador, ne sont pas au départ parce que c’est dangereux. » Vincenzo Nibali, lui, sera bien là cette année, probablement plus pour une mise en jambe avant Tirreno-Adriatico (11-17 mars) que pour la gagne. Le dernier Maillot jaune du Tour n’a de toute façon pas le profil d’un vainqueur des Strade Bianche, lesquels s’offrent plutôt aux purs coureurs de classiques.

Les Strade Bianche 2014.
Les Strade Bianche 2014. LaPresse/Fabio Ferrari

Les noms des lauréats – Fabian Cancellara (2008, 2012), Philippe Gilbert (2011), ou encore le champion du monde en titre, Michal Kwiatkowski (2014) – disent d’ailleurs à eux seuls la dimension que cette jeune course a déjà prise. Le triomphe de l’Italien Moreno Moser – neveu du grand Francesco, ancien triple vainqueur de Paris-Roubaix – en 2013, a contribué à la petite légende de l’épreuve, et lui a définitivement attiré la sympathie des Italiens, grands passionnés de cyclisme, déjà nombreux sur les portions caillouteuses – notamment les dernières, les plus pentues – et dans la via Santa Caterina, le mur final et ses passages à 15% qui mène à l’arrivée, sur la somptueuse Piazza del Campo de Sienne.

« C’est pas une course normale, avec juste une route une arrivée. Les Strade Bianche, c’est mythique. Je pense que ça peut vraiment devenir un monument du cyclisme », s’enflamme Warren Barguil. « J’aimerais bien, mais c’est trop tôt pour le dire, tempère Pier Bergonzi. Les grandes classiques comme Paris-Roubaix ou Milan-San Remo ont plus d’un siècle d’existence. Mais cette course a tout – l’organisateur, les très bons coureurs, le cadre – pour intégrer le World Tour [le circuit de courses les plus prestigieuses] et devenir l’une des plus intéressantes de la saison. »

En ce samedi ensoleillé, sur les routes de Toscane, le peloton va avaler de la poussière toute la journée. Et ça va être magnifique.

Les Strade Bianche 2014.
Les Strade Bianche 2014. LaPresse/Fabio Ferrari